Commentaire du Docteur Jean-Claude Soulié
Centre d'Hémobiologie Périnatale (CHP) CHU St-Antoine
53, Boulevard Diderot 75570 PARIS Cedex 12 FRANCE
jcsoulie@club-internet.fr
Cher collègue,
Au Centre d'Hémobiologie Périnatale, nous participons chaque année à la surveillance de plusieurs centaines de cas d'allo-immunisation Rh, pratiquons près de 150 exsanguino-transfusions du foetus, mais aussi - last not least - "traitons" environ 20.000 patientes par IgRh.
C'est dire combien le relevé d'articles que vous avez fait m'a intéressé, ainsi que vos commentaires. Je me permet d'y apporter les miens.Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas s'emballer, d'autant que ces travaux sur le fond ne sont pas susceptibles de nous apporter grand chose de neuf en pratique :
L'intérêt des IgG polyvalentes à forte dose dans les cas d'immunisation Rh, pendant la grossesse, ainsi que chez le nouveau-né atteint, a fait l'objet de moult publications.
Quel est-il en réalité, dans notre organisation en réseau ?
Pendant la grossesse, lorsque vous avez une immunisation sévère (souvent un antécédent d'atteinte foetale sévère et/ou précoce, concentration sérique > 1 µg avec foetus Rh positif, Liley en zone II sup ou en zone II), allez-vous tenter un traitement pharmacologique d'effet non immédiat (les IgG polyvalentes), hyper-coûteux (essayez un peu d'en parler avec la Caisse locale), et dont surtout l'expérience clinique est minime (et de plus hors AMM), alors que votre foetus peut avoir déjà une anémie majeure, qui serait immédiatement évaluée/corrigée par une équipe entraînée ?
Chez le nouveau-né, le recours à l'exsanguinotransfusion est devenu rare dans cette pathologie, grâce au traitement in utero des formes graves, permettant dans plus de 90% des cas d'accueillir un enfant presque mature (36-38 semaines), phénotypiquement Rh négatif, et dont l'hémolyse néonatale ne devrait plus entraîner - sauf exception - d'hyperbilirubinémie majeure grâce à une photothérapie efficace (intensive si besoin)...
Bien sûr, tout cela doit être expliqué soigneusement au couple pendant la grossesse, etc.
Ce devoir d'informer est également impératif pour l'utilisation préventive des Ig anti-D (IgRh).Concernant les risques infectieux des IgRh : schématiquement, elles sont obtenues en France (NateaD, LFB) par le traitement industriel de plasmas humains importés (à plus de 80%), qui subissent trois étapes successives d'inactivation virale : fractionnement alcoolique de Cohn, filtration, traitement pH4-pepsine, dont l'efficacité est validée pour les virus enveloppés. Pour les étapes 1 et 3, il n'en est pas de même chez les anglo-saxons qui ont fait le choix de la chromatographie. Ce qui a conduit à l'épidémie d'hépatite C en Irlande chez les patientes traités par IgRh, notamment.
Pour les agents "non conventionnels" (prion), aucune transmission n'a été documentée à ce jour.Les IgRh recombinantes. Divers clones ont été sélectionnés pour la production d'IgRh actives in vitro. Hélas, les essais cliniques de prévention de l'immunisation chez des volontaires, ont été très décevants. On continue d'y travailler dans les laboratoires, mais le chemin pourrait être encore bien long.
La réalité des progrès qui sont à notre portée aujourd'hui me semble être ailleurs, entre autres :
- améliorer le dépistage prénatal des allo-immunisations érythrocytaires,
- améliorer la pratique de la prévention Rh, dans toutes les circonstances possibles. C'est l'affaire des accoucheurs bien sûr (indications), mais aussi des biologistes (logistique, et sur le plan du laboratoire, mettre à disposition des premiers une utilisation optimale du test de Kleihauer) ;
- développer la pratique en réseau, c'est à quoi un service comme le notre s'efforce.
Réponse du Dr BriexJe vous remercie pour ces précisions bien nécessaires. J'ai choisi ce sujet car nous constatons surtout que les plus grand prescripteurs d'IgRh (c'est à dire les praticiens des maternités et souvent les sage femmes) n'ont la plupart du temps aucune idée de l'origine de ces produits; leur prescription se fait souvent sans information pour la patiente (même si récemment une feuille de traçabilité a été proposée) et l'on évite parfois d'aborder le problème du consentement éclairé de peur que la patiente refuse et s'expose ainsi à une iso-immunisation, de plus l'origine humaine du produit n'est pas souvent clairement exprimée comme cela est fait pour une transfusion par exemple.
L'aspect technique de la fabrication et des contrôles reste mystérieux pour les médecins moyens (comme moi) car tout ceci est assez technique et fait appel à des techniques de laboratoire dont nous sommes souvent peu familiers. Je remarque simplement que notre attitude vis à vis de la prescription de ces produits (et non pas de leur fabrication qui semble sécurisée au maximum) est comparable à celle des transfusions sanguines il y a quelques années...
Je souhaiterais simplement que nos collègues n'oublient pas ce qu'ils prescrivent et qu'ils contribuent toujours efficacement à la prévention.
Cordialement